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Yakshagana
Acteurs et marionnettes du Karnataka

Yakshagana Bayalaata | Acteurs

Le Yakshagana Bayalaata (en langue kanara : yakshagana, « chant des êtres célestes » et bayalaata, « jeu dans les champs ») est une forme de théâtre total, populaire, joué en plein air dans les rizières pendant la saison sèche qui s’étend d’octobre à mai, dans le Karnataka, Etat du Sud de l’Inde.

Le Yakshagana Bayalaata ne constitue pas un rituel proprement dit et il se définit même comme une forme profane, mais les occasions de jeu se trouvent ritualisées ainsi que les lieux où se déroulent les oeuvres. Un Yakshagana peut être acheté par un particulier qui a fait un voeu pour que sa femme ait un enfant, ou que son fils guérisse d’une fièvre ou qu’un parent rentre d’un séjour à l’étranger. Une communauté peut s’associer pour offrir un Yakshagana pour la prospérité d’un village ou pour chasser une épidémie de la région. Enfin la coutume veut que les pièces jouées dans les rizières asséchées, garantissent une bonne récolte pour l’année suivante.

Le Yakshagana présente de nombreuses affinités avec :

  • Le Teru Koothu et la Bhagavata Mela du Tamil Nadu,
  • Le Veedhinatakamu de l’Andhra Pradesh,
  • Le Kathakali du Kerala, dont il pourrait être une des sources d’inspiration.

Selon les régions du Karnataka, le Yakshagana Bayalaata prend différents noms (car le dialogue peut se dérouler dans l’une ou l’autre des langues de l’Etat). Dans le Nord, il est appelé Dodatta, dans le Mysore : Moodal Apaya, dans les régions côtières : Yakshagana Bayalaata et Yakshagana Bombeyaata (ou spectacle de marionnettes). Ce dernier, âgé seulement de trois siècles, est le plus récent.

Ces drames dansés dériveraient des cultes shivaïstes, Shiva étant considéré comme la divinité la plus archaïque et la plus proche du « monde sauvage ». Sa personnalité riche et ambiguë aurait inspiré de nombreux mythes annexes. (Shiva boit le poison, il domine les serpents, il est bisexué et il « danse » le monde).

Des musiciens-conteurs itinérants, les Yakkadigaru, qui chantaient il y a un millier d’années des épopées héroïques appelées Jakkulu Katha selon un style de musique basée sur une métrique propre au Karnataka, seraient probablement à l’origine du Yakshagana Bayalaata.

Les mètres les plus employés : bhamini, vardhakya, kanda, vritta, divipati et shatpadi reposent sur des formes poétiques telles que les chathana, les bedande et les bajana. Bien que populaires, ces formes se révèlent très élaborées et les mètres ainsi que les compositions poétiques se retrouvent dans tous les types de Yakshagana.

Il semble que la danse se soit ajoutée à ces récits épiques chantés à partir du XIVe siècle. Le système de danse et les chorégraphies, en partie pré-structurées, se seraient développés à partir de cultes d’une divinité de la terre appelée Maladenu ou Nagarakhanda (n’ayant aucun lien avec le Barathanatyam ou le Ramanattam, ancêtre du Kathakali) mais célébrée dans les danses rituelles ou Naga Mandalam (célébration du culte du dieu-serpent).

Toutes les traditions des régions avoisinantes ayant eu un développement similaire et pris racine dans les rites archaïques, il semble normal que les drames dansés présentent des ressemblances. Néanmoins chacun conserve ses particularités. Par exemple, dans le Yakshagana se trouvent insérés des dialogues dont certains sont semi-improvisés, alors que dans le Krishnattam ou le Kathakali, seul le geste est employé et la parole chantée est dissociée du corps de l’acteur.

Le contenu des pièces des formes de Yakshagana se rattache aux Purana et aux deux épopées hindouistes, le Ramayana et le Mahabharata. Les drames commencent à la tombée de la nuit et finissent à l’aube, sous un précaire abri de toile au-dessus d’un podium de planches posé sur le sol d’une rizière ou dans une des salles précédant l’entrée des temples. Les acteurs-danseurs se préparent longuement, chacun réalisant un maquillage codé définissant son personnage, ainsi qu’une coiffure extraordinaire et volumineuse.

Les acteurs-danseurs ou cultivateurs appartiennent à la caste des Sudra. Leur formation se fait soit par contamination soit par un père, un oncle ou un voisin, au temps de leur jeunesse. Prisés pour leur talent et leur énergie dramatique, ils ne sont toutefois pas considérés comme des professionnels.

En revanche, les musiciens du Yakshagana possèdent un statut de professionnels. Ils peuvent jouer dans plusieurs troupes ou dans des fêtes ou des mariages même pendant la mousson. Le chanteur ou Baghavata assume un rôle important car il dirige en fait la pièce en demandant aux acteurs d’allonger ou de raccourcir une scène en frappant sur de petites cymbales des motifs sonores particuliers. L’ensemble musical comprend un joueur de chande (tambour vertical à deux peaux) et un joueur de madale (tambour horizontal à deux peaux).

La musique s’appuie sur des raga (modes) et sur des tala (cycles rythmiques) particuliers au Karnataka.

Le Yakshagana Bombeyaata | Marionnettes

Née au XVIIIe siècle dans le village du Kundapura, cette forme particulière de « chant des êtres célestes » s’appuie sur le même répertoire que celui des autres Yakshagana ainsi que sur la musique et la danse, celle-ci étant exécutée par de grandes marionnettes de bois à fils, au lieu d’acteurs en chair et en os.

Cet art devenu presque moribond dans les années cinquante est revivifié par un homme, Devanna Padmanabha Kamath, qui initie son fils, Kogga Kamath, à la manipulation, la musique, la danse et la sculpture des poupées.

Grâce au Festival des Arts Traditionnels de Rennes qui, en 1978, invite la troupe de marionnettes et organise une tournée européenne, les modestes artistes ruraux reçoivent à leur retour dans le sud du Karnataka, des marques d’encouragement des autorités indiennes. Ils peuvent ainsi continuer à faire vivre cette tradition.

Les marionnettes sculptées dans un bois léger mesurent entre quarante et soixante centimètres de hauteur. Leurs costumes, leurs ornements, leur maquillage sont les répliques de ceux du Yakshagana Bayalaata. Celui qui donne la vie aux poupées, le maître marionnettiste, appelé Sutradhara conte le récit par le langage (kanara) et le mouvement. Un ensemble de musiciens l’aide à donner vie aux marionnettes qui dansent. Comme dans le Yakshagana Bayalaata, le Baghavata dirige les joueurs de chande et de madale.

Les marionnettes se présentent sur une scène appelée Rangasthala, encastrée dans des rideaux masquant les manipulateurs qui restent invisibles pendant toute la durée du spectacle. Celui-ci se déroule après le coucher du soleil, à proximité des temples ou bien dans les maisons de familles aisées qui contribuent ainsi à subvenir à leurs besoins. Pendant la mousson, les marionnettistes travaillent dans les champs. Certains sculptent ou habillent des marionnettes. Avant de mourir, le père de Kogga Kamath (âgé lui-même aujourd’hui de soixante et onze ans) fit venir son fils et ses amis villageois et leur dit : « Donnez à votre art le meilleur de vous-même. Il vous exaltera. Il vous montrera la valeur de la vie. Ne soyez pas mesquins et réclamez qu’il vous nourrisse et qu’il vous habille. »

Le Kolam

Kolam signifie « manifestation ». Celle-ci peut être gestuelle, musicale ou simplement visuelle. Dans l’Etat du Karnataka, le Kolam ou dessin symbolique tracé toujours par une femme, à l’aube, apporte à la famille et à l’entourage une bénédiction dont l’effet durera toute la journée. Equivalente à une prière, l’invocation graphique émanant de cette entité féminine ambiguë (à la fois terrifiante et apaisante) des régions du Sud de l’Inde possède le privilège de chasser les mauvais esprits hors de la demeure, où la femme rurale s’enfermera jusqu’au coucher du soleil. Sur le seuil de la maison, ou bien à l’intérieur, dans la pièce-sanctuaire où veillent les petites divinités de bois, d’argile ou de métal, la mère ou la grand-mère vont tracer, avec patience, une série de motifs et d’entrelacs qui évoqueront pour tous ceux qui franchiront le seuil, le monde créé. Elles prennent un mélange de poudre de riz séché et pilé et de poussière de marbre blanc et entre le pouce et l’index, comme pour saler un met, elles laissent glisser une ligne fine et régulière qui se change en losanges imbriqués, en cercles concentriques, en pétales de fleurs étranges, en lunes et en étoiles, en oeil de divinité, en chariot céleste, en serpents noués en seize, en huit ou en quatre etc... Le dessin blanc apparaît nettement sur la terre battue recouverte de la bouse de vache purificatrice.

La créatrice qui possède des schémas enseignés par les femmes de la famille, se recueille un moment puis, lorsque le jour est celui d’une cérémonie ou d’une fête de famille, elle ajoute des couleurs. Celles-ci, peu nombreuses (jaune, rouge et noir surtout) sont chargées de sens. Au cours de la journée, chaque adulte veille à contourner le dessin mais si les pieds nus d’enfants, les sabots ou les pattes d’animaux effacent les lignes savantes et brouillent les aplats de poudre, la bénédiction se trouve renforcée car le dessin se purifie et en outre, il danse.

Françoise Gründ
Maison des Cultures du Monde
Extrait du dossier de presse

Avec l’aimable autorisation de la Maison des Cultures du Monde.


Publié par Patrick Le Gac le vendredi 6 avril 2001
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